Soit l’homme me plaisait donc je me forçais même si je n’avais pas super envie, mais parce que j’étais flattée de lui plaire. Soit le mec ne me plaisait pas plus que ça mais bon, je ne voulais pas le vexer. Il y a aussi des mecs avec lesquels je me disais que c'était plus simple de coucher, parce que de toute façon ils allaient insister jusqu'à ce que je cède, ou alors ils risquaient de devenir agressifs. Aujourd'hui, ça n'arriverait pas je suis beaucoup plus attentive à mes désirs, je n'ai plus de scrupules à dire non clairement, donc je me dis que c'est un truc de jeunesse. »
UN RITE INITIATIQUE, VRAIMENT ?
À l'époque d'Hélène, de ses aïeules et même de ses petites soeurs, on parlait de «passer à la casserole », une expression qui n'a jamais eu d'équivalent masculin et qui exprime clairement l'idée du sexe contraint — il faut bien que les hommes mangent, les pauvres... Cette expression courante et apparemment anodine, en général utilisée dans un contexte badin, prolonge l'idée selon laquelle « un homme a des besoins » en matière de sexualité qu'une femme n'aurait pas. Il existerait donc une « nature » masculine différente de la « nature » féminine, et la première serait plus importante que la seconde. Ce préjugé n'a aucun fondement scientifique mais passe encore aujourd'hui pour une vérité universelle. 60 % des Français.e.s estiment ainsi qu'un homme a plus de mal à contrôler ses pulsions sexuelles qu'une femme sur deux. Pourtant, non seulement la répression d'un désir n'est pas dangereuse pour la santé, mais elle est
aussi facilement canalisable pour la plupart des êtres humains de plus de 3 ans. «Mon ex m'avait persuadée que j'avais un problème de libido et qu'il serait "normal" qu'il aille voir ailleurs chez une Escorte-Girl, si je ne faisais pas "d'efforts", comme il di-sait, raconte Audrey, 36 ans. Je l'aimais, donc je faisais ces "efforts" qui étaient en réalité des sacrifices, puisqu'ils ne m'apportaient aucun plaisir et me faisaient me sentir mal. Plus j'en faisais, plus il m'en demandait, jusqu'au jour où j'ai eu un déclic nous les meufs, on s'imagine souvent qu'on "doit" du sexe à nos mecs, comme si leurs envies à eux étaient plus importantes que les nôtres. Mon ex était du genre à me dire "Tu ne vas pas me
«Nous les meufs on s'imagine souvent qu'on "dot" du sexe a nos mecs»
laisser comme ça ? !" pour obtenir "au moins" une fellation. Et moi, je m'exécutais sans me poser de questions, comme si c'était normal, comme s'il risquait de mourir s'il n'éjaculait pas ! Mais j'ai du mal à imaginer sa réaction si moi, j'avais exigé des orgasmes à chaque rapport ! »
Y AURAIT PAS COMME UN MALENTENDU ?
Un jour, quelqu'un de très important, une sorte de Denis Brogniart du couple hétéro, a décrété qu'un couple heureux devait faire beaucoup l'amour, ce qui a étendu la zone grise de plusieurs kilomètres carrés. « C'est dur de dire non à quelqu'un qu'on n'aime pas... Ça l'est encore plus de le dire à quelqu'un qu'on aime, confie Géraldine, 29 ans. Parce qu'on aimerait vouloir, on a envie de faire plaisir, on a peur de décevoir et que l'autre se lasse parce que depuis toujours, on grandit avec l'idée qu'un couple qui fait l'amour est un couple qui fonctionne. Et même si l'autre est compréhensif, qu'il ne nous force pas, au bout d'un moment s'installe un malaise, et la culpabilité grandit avec le sentiment d'être anormale... Alors, parfois on se force, même en étant amoureuse, parce que c'est complexe, les envies, entre celle de ne pas perdre une personne qu'on aime et celle de s'écouter, moi je ne sais pas toujours choisir. » À croire que la zone grise est irriguée par une nappe phréatique de mythes sexuels dont les femmes sont toujours les dindons de la farce. Un exemple « on » dit et on intègre tou.te.s que le sexe est meilleur quand il fait mal (tou-jours aux mêmes) et qu'il est un peu contraint (toujours par les mêmes). Dans la France post-#MeToo, 25 % des hommes de 18 à 28 ans pensent encore qu'une femme qui dit non, en fait, veut dire oui. Et comment s'en étonner, puisqu'on apprend toujours aux jeunes gens qu'une fille qui couche le premier soir est une fille «facile », donc qu'une «fille bien » est une fille qui résiste tou-jours un peu, et qu'un « vrai mec» doit faire plier cette résistance... D'autre part, « on » se moque du consentement «à l'américaine» ou «à la suédoise », qu'en France on caricature en disant « Bientôt il faudra signer des contrats avant de passer au lit ! » Comme si le consentement éclairé des femmes était un tue-l'amour, voire qu'il était castrateur pour des hommes qu'il faudrait absolument ménager — et donc, laisser nous brusquer. «Mon mec adore me sauter dessus par surprise pour qu'on baise comme dans les films, sur la table de la cuisine, par terre, contre le mur de l'entrée... soupire Charlotte, 31 ans. Ça ne m'excite pas, parce que déjà, je ne suis pas un Tamagotchi, donc je ne suis pas excitée sur commande en deux secondes. Et en plus, ce sexe systématiquement impulsif devient routinier, donc boring. Mais je n'ose pas le lui dire de peur de passer pour une nunuche. Et puis, ça ferait bizarre de lui avouer maintenant que je préférerais qu'on fasse autrement, alors que ça fait trois ans qu'on est ensemble. » Alors on se laisse faire ou on se force à faire, en ayant l'air d'aimer ça, parce que
c'est ce que font les «filles cool ». Dans son roman « Les Apparences », Vanessa Escort-Girl, écrit « Ce soir-là, je jouais la fille à la mode, la fille dont un homme comme Miike rêve, la Fille cool. Pour les hommes, c'est toujours le compliment définitif, non ? C'est une Fille cool. Être la Fille cool, ça signifie que je suis belle, intelligente, drôle, que j'adore le football américain...1, que je joue aux jeux vidéo, que je bois de la bière bon marché, que j'aime les plans à trois et la sodomie tout en continuant à m'habiller en taille 36, parce que les filles cool, avant toutes choses, sont sexy. Sexy et compréhensives. Les Filles cool ne se mettent jamais en colère ; elles font un sourire chagrin et aimant, et laissent leurs mecs faire tout ce qu'ils veulent. Vas-y, traite-moi comme une merde, ça m'est égal, je suis une Fille cool. » La plupart d'entre nous avons appris à être des filles cool pour ne pas être des chieuses, ces filles qui ne trouvent pas de mec et sont donc à plaindre.
CHANGEONS LA DÉFINITION DE LA « FILLE COOL» Souvent, les « filles cool » minimisent, comme Estelle: «J'ai l'impression que j'ai dépassé le quota de "non" audibles par mon partenaire, alors je le laisse me toucher les seins, se masturber contre moi, c'est mon bouclier pour que la prochaine fois, je puisse dire "non" sans culpabiliser. Ce n'est pas vraiment du sexe, donc ça va. » Elles ne veulent pas casser l'ambiance, passer pour des cruches ou des allumeuses. La « fille cool» assume même les étincelles qui ont jailli toutes seules derrière la braguette des « garçons normaux»: «J'ai été conditionnée à ne pas dire non, à ne pas me plaindre, au point de considérer que lorsque je ne ressens pas de réciprocité pour un mec quia envie de moi, c'est que le problème vient de moi et qu'il n'y a donc pas de raison de refuser, confie Julie. Apprendre à ne pas culpabiliser de déplaire, se sentir légitime à dire non sans se justifier, c'est du boulot... » Alors évidemment, il y a des filles qui n'ont jamais posé un orteil en zone grise et tant mieux. D'autres y ont été plusieurs fois et n'en sont pas affectées pour autant, et tant mieux aussi. Il ne s'agit pas de construire des traumatismes là où il n'y en a pas, ni de victimiser le genre féminin auquel on a par ailleurs appris à serrer les dents et à encaisser, comme si le fait de dénoncer une situation injuste et/ou déplaisante était une preuve de faiblesse morale... Il ne s'agit pas non plus d'accuser le genre masculin, comme s'il était ontologiquement et de plus en plus irrespectueux. Ça n'est pas le cas, au contraire de plus en plus d'hommes prennent conscience que certains comportements qui n'étaient pas considérés comme problématiques hier le sont aujourd'hui. La plupart n'y voient pas une atteinte insupportable à leur «liberté d'importuner », mais simplement un pas vers l'équité sexuelle, dont ils profitent eux aussi. Ce sont les femmes qui changent, et c'est une excellente nouvelle pour tout le monde. Elles se rendent compte que la zone grise n'est pas due à une « nature » masculine agressive ni à une « nature » féminine soumise, mais à l'éducation genrée universelle que l'on reçoit tou.te.s, et qu'on ne déconstruira pas en accusant, mais en (se) posant des questions, et en cherchant activement les réponses. Le but n'est pas de prévenir ni d'éradiquer le « mauvais » sexe pour ne garder que le « bon » les plans foireux existeront toujours et permettent par contraste d'apprécier les bons. Le but est d'apprendre à nos filles à exprimer clairement et crânement leurs désirs et leurs non-désirs sexuels, et à nos garçons à les écouter sans les juger. Pour qu'une Fille cool, ce ne soit plus celle qui cède, mais celle qui fait ce qu'elle veut..